mercredi 6 mars 2024
Hommage à Colette Nys-Mazure à Tournai
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lundi 5 février 2024
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lundi 15 janvier 2024
Nicolas Ancion et les livres de poche
mercredi 20 septembre 2023
Chronique "Résister" par Colette Nys-Mazure
Dans la revue catholique "Dimanche", l'auteure belge Colette Nys-Mazure rédige une chronique de temps en temps. Voici l'une d'entre elles qu'elle a intitulée "Résister" :
Résister, j'aime ce mot qui évoque aussi bien la résistance des matériaux que la Résistance pendant l'Occupation ou celle que manifeste une personne minée par une maladie grave : une force s'oppose à une autre. Cet acte profondément humain se pratique en petit comme en grand.
"Quel est le timing aujourd'hui ? - Dis plutôt l'ordre du jour ou le programme ou tes intentions...". Je suis saturée de ce franglais alors que notre langue française menacée dispose du vocabulaire adéquat ! On m'objecte avec condescendance que l'assaut irrésistible des sciences, des techniques, de l'informatique, du tourisme international...exige le recours à l'anglais. J'entends mais je n'en tiens pas moins à notre terroir. Je m'arc-boute à notre langue maternelle tellement riche et belle : comme je râle de lire booster au lieu de stimuler, challenge plutôt que défi, surfer à la place du poétique chevaucher la vague...
Résister aux influenceurs et influenceuses de tout horizon. Je repense à ce film vu il y a des éternités, dont j'ai oublié le titre : un vieil homme s'obstinait à sauvegarder sa maison au milieu d'un terrain voué à la construction d'immeubles. Il incarnait la résistance aux nouveaux modèles d'habitat et aux tentations du chantage par l'argent, par l'intimidation puis la terreur. David contre Goliath ?
Résister aux flux d'information en continu qui mobilise notre temps sans nous laisser celui de la vraie rencontre en présence. Des nouvelles du monde soigneusement triées pour produire l'effet immédiat de panique entraînant la procrastination, voire l'impuissance et l'inaction. Je ne suis pas réactionnaire pour un sou, mais je suis écoeurée de ces fausses nouvelles. Ce jour, je me sens d'humeur rageuse, ravageuse. Trop, c'est trop. J'en ai assez des hypothèses échafaudées par les faux prophètes, des experts du grand écran autour des guerres, des séismes, de la pollution. Se ressent le plaisir de briller, de parader plus que d'exposer modestement des connaissances utiles. La fierté de connaître une heure de gloire télévisuelle l'emporte sur la communication d'un savoir rigoureux et sans complaisance.
Résister aux modes, aux vacances coûteuses en émanations de carbone, aux achats vestimentaires ou domestiques activés par la publicité, les promotions, les soldes tronquées. Et que dire des remèdes miracles ?
Hygiène mentale et physique. Aujourd'hui, dans le sillage des révélations gravissimes de pédophilie, on apprend tôt aux enfants à dire "Non, mon corps est à moi, je ne consens pas à". Ne faudrait-il pas les alerter aussi de l'existence de prédateurs par écrans interposés ?
J'ai besoin d'aiguiser ma plume, en l'occurence mon clavier, pour résister à cette vague de fond qui tend à nous uniformiser (je n'userai pas de l'anglicisme formater !), nous anesthésier pour mieux nous faire consommer alors que le monde brûle, que les ressources s'amenuisent. Kundera vient de mourir mais son alarme résonne : nous sommes menacés par les "termites de la réduction" à chaque tournant, non seulement de l'Histoire mais aussi de nos histoires privées.
Comme il est difficile de rester un homme, une femme debout, dans l'indépendance vaillante, l'ouverture aux souffles venus d'ailleurs mais d'abord dans un enracinement profond. Nos vrais amis ne seraient-ils pas ceux et celles qui ne se contentent pas de partager nos goûts, nos valeurs, nos intimes convictions, mais qui nous remettent en question lors de débats confiants et argumentés. Quelle vie spirituelle cultiver pour une résistance essentielle ?
Colette Nys-Mazure (chronique dans une des revues "Dimanche" de septembre 2023)
mercredi 23 août 2023
"Les Dragons" (Jérôme Colin)
jeudi 8 juin 2023
Colette Nys-Mazure et le vis-à-vis
Colette Nys-Mazure a écrit une chronique très juste sur le vis-à-vis dans la revue catholique "Dimanche". Cela m'a rappelé un soir de Foire du Livre de Bruxelles où je me suis retrouvé par hasard dans le train...avec Colette Nys-Mazure. Nous avons parlé ensemble une demi-heure de lecture. Un très beau souvenir !
Voici le texte de Colette Nys-Mazure :
Vis en ancien français désignait le visage, ce qu'on voit, la figure, la face. Ce n'est pas inutile de s'en souvenir en notre univers d'écrans qui s'interposent entre les personnes au travail, dans les relations ou les loisirs. Je discutais volontiers avec la guichetière de la gare, de la banque, d'un accueil....mais la machine à distribuer titres de transport, billets ou toutes à travers le dédale des bâtiments administratifs et des hôpitaux ne m'en offre plus guère l'occasion.
Dans les surfaces commerciales anonymes, je repère l'un ou l'autre solitaire en quête d'un contact, s'efforçant de retenir mon attention autour d'une salade moins fraîche ou d'une nouvelle marque de bière. Le distributeur, le service électronique n'aura jamais raison du besoin de parole.
Si j'aime la foule de visages inconnus, connus, reconnus, j'ai une préférence pour le tête-à-tête, les moments plus intimes de colloque singulier. Lors des fêtes amicales, des échanges vibrants, bruyants en tous sens, je n'en recherche pas moins ces instants privilégiés où je ne m'adresse qu'à une seule personne, que ce soit face-à-face autour d'une table ou côte-à-côte en marchant. Je provoque cette chance d'alterner le groupe et l'individu. Cette proximité sans promiscuité que je chéris.
Dans une famille heureuse de se retrouver, il me semble essentiel de sauvegarder des aires de rencontre privilégiée avec l'un puis l'autre au gré des circonstances, saisies sans hésiter. Ce samedi ne manquait pas de projets mais voici qu'une petite-fille propose de venir partager repas et promenade. Je modifie aussitôt mon programme.
Nous voici flânant dans un bois lourdement parfumé à l'ail des ours. Elle évoque son travail, apprentissages, plaisirs, interrogations. Je lui raconte le dernier film apprécié, en l'occurence "Le bleu du caftan" réalisé par Maryam Touzani, sa noblesse, la beauté des images et des êtres. Elle s'y intéresse, demande des précisions avant de raconter à son tour "Everything everywhere all at once" réalisé par Daniel Scheinert et Daniel Kwan, dont je n'ai perçu que la rumeur sans en connaître le contenu. Elle m'explique ce qui l'a fascinée dans cette audacieuse fiction couronnée de nombreuses distinctions : les choix et leurs conséquences.
Nous enjambons les branches mortes, évitons le centre boueux du chemin encaissé, elle me retient dans une descente glissante. Sans avoir senti le temps filer, nous sommes étonnées d'atteindre déjà l'issue du bois, au moment où pénètrent une femme et son énorme chien blanc.
Lorsqu'elle enfourche gaillardement son vélo pour rentrer chez elle, je me sens accrue par notre simple conversation. Cinquante-cinq ans nous séparent, aujourd'hui on dirait onze générations ! Dans la mesure où s'accélère l'évolution, cinq ans suffisent pour tout modifier. Et cependant, nous pouvons nous rejoindre, nous ouvrir l'une à l'autre des horizons insoupçonnés, nous enrichir. Elle m'a permis d'entrevoir son imaginaire autant que ses préoccupations professionnelles. Je la connais mieux et ne l'en aime que davantage.
Avec un alliage étrange de pudeur mal placée, de discrétion respectable mais équivoque, de crainte de ne pas être à la hauteur, mais aussi la fausse conviction que le fossé des âges est pratiquement infranchissable, nous nous retenons d'oser le dialogue, de lancer l'invitation alors que si nous sautons le pas, nous sommes émerveillés de la qualité des partages. Derrière les visages, tant de paysages imprévisibles. Derrière les conduites surprenantes, différentes de celles que l'éducation nous a inculquées autrefois, nous découvrons des modes de vie passionnants. Au lieu de nous retirer, de nous restreindre et parfois de nous racornir, nous élargissons notre champ de vue, de vie.
Qu'est-ce qui t'anime, qu'est-ce qui te fait vivre ? En nous, ce désir flagrant et jamais rassasié : fais-moi voir Ton visage.
Colette Nys-Mazure
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